1257 > 2025 : Quand la Sorbonne allait au Landy (en passant par la Porte de la Chapelle)
Quartier et rue du Landy, rue de la Montjoie, sont des noms de lieux familiers aux collègues de l’université qui travaillent et fréquentent aujourd’hui le Campus Condorcet à Aubervilliers. Mais ces toponymes étaient déjà bien connus des maîtres et des étudiants de la Sorbonne au Moyen-Âge.
Au XIIIe siècle, la foire du Lendit est l’un des grands rendez-vous du commerce en Europe : « la plus roial foire du monde » selon le Dit du Lendit rimé écrit aux environs de 1290. De la Saint-Barnabé à la Saint-Jean (11 juin-23 juin), la foire bat son plein dans la plaine du Lendit située entre Saint-Denis, Aubervilliers et Saint-Ouen. Chaque 12 juin, un cortège rassemblant tous les représentants de l’institution universitaire parisienne accompagnés des étudiants se rend en cavalcade au Lendit pour y choisir tout le parchemin nécessaire pour une année entière, l’université jouissant d’un droit de préemption sur cette marchandise. La procession descendait ainsi la rue Saint-Jacques pour rejoindre l’Estrée en direction de Saint-Denis, en passant par le « col de la Chapelle » (Lombard-Jourdan, 1987)1.
« La fête du Lendit » reste un épisode célèbre de la Sorbonne médiévale. À la fin du XIXe siècle, à l’occasion de la construction de la nouvelle Sorbonne conduite par l’architecte Henri-Paul Nénot, deux fresques monumentales illustrant « La foire aux parchemins du Lendit » et « Le cortège des joyeux étudiants » sont commandées au peintre Jean-Joseph Weerts. Toujours visibles dans la galerie de la cour d’honneur de la Sorbonne, elles ont été restaurées en 2012 et 2013. La Bibliothèque Interuniversitaire de la Sorbonne a, quant à elle, acquis des esquisses préparatoires à ces tableaux, aujourd’hui accessibles en ligne via la Bibliothèque numérique de la Sorbonne (NUBIS). Le rappel de cet épisode historique semble donner encore lieu à quelques festivités au début du XXe siècle comme en témoigne une photographie prise sur la place du Panthéon en 1911 (Bnf).
La foire du Lendit est référencée dans diverses ressources numériques plus ou moins rigoureusement documentées. On pourra se reporter à la notice de l’Atlas de l’architecture et du patrimoine de la Seine Saint-Denis, ou aux travaux de l’historienne Anne Lombard-Jourdan qui analyse l’origine des trois grandes foires dépendant de l’abbaye de Saint-Denis dont celle du Lendit (1987 ; 1994). L’auteure interroge notamment la véracité des récits de fondation médiévaux qui fabriquent des origines royales (Dagobert, Charles le Chauve) à des rassemblements assurément bien antérieurs, et légitiment surtout leur mise sous contrôle par l’abbaye. Des travaux portant sur le commerce des parchemins et les métiers du livre documentent aussi la pratique de préemption de l’université parisienne au Lendit, qui prévaut jusqu’à la diffusion de l’usage du papier (Faniu, 1991 ; Yante, 2012)2.
Ainsi se rendait à pied le joyeux cortège de la Sorbonne vers la plaine du nord parisien !
La suite au prochain épisode… La route n°1 commence à Paris 1.
Bibliographie
Fianu Kouky, « Les professionnels du livre à la fin du XIIIe siècle : l'enseignement des registres fiscaux parisiens », Bulletin de l'École des Chartes, 150-2, 1992, pp. 185-222.
Fianu Kouky, Histoire juridique et sociale des métiers du livre à Paris (1275-1521), mémoire de thèse inédit, Montréal, Université de Montréal, 1991.
Lombard-Jourdan Anne, La Plaine Saint-Denis. Deux mille ans d'histoire, Paris, CNRS, 1994.
Lombard-Jourdan Anne, « Les foires de l'abbaye de Saint-Denis ; revue des données et révision des opinions admises », Bibliothèque de l'école des chartes. 1987, tome 145, livraison 2. pp. 273-338.
Lombard-Jourdan Anne, « La naissance d'une légende parisienne : le miracle du Lendit », Annales. Economies, sociétés, civilisations. 28ᵉ année, N. 4, 1973. pp. 981-996.
Yante Jean-Marie, « En amont du manuscrit, préparation et commerce du parchemin. Quelques pièces du dossier français », dans Fabienne Henryot (dir.), L'historien face au manuscrit. Du parchemin à la bibliothèque numérique, Louvain-la-Neuve, 2012, pp. 27-42.
Extrait de Lombard-Jourdan (1987)
1 Le « col » ou « pas de la Chapelle » est le passage sur la route de Paris à Saint-Denis situé entre les hauteurs de Montmartre et de celles de Belleville, au niveau de l’actuelle station Max Dormoy. Cette carte est reproduite dans la notice de Wikipedia « Foire du Lendit », sans que les noms de l’auteure et de la dessinatrice de la carte, Françoise Vergneault, soient indiqués dans les métadonnées du document en ligne.
2 Nous remercions vivement François Foronda, Maître de conférences HDR de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne d’avoir attiré notre attention sur ces références bibliographiques plus récentes.