Colloque

Colloque : Liturgie et identité nationale dans l’Europe moderne

L’historiographie et la sociologie ont montré l’importance de la symbolique religieuse dans la constitution des identités et en particulier des identités nationales à l’époque moderne, les Anglais, les Français ou les Espagnols se décrivant volontiers comme des peuples élus. La sainteté occupe une fonction capitale dans ce processus de construction. Les saints, par leur vie et leurs reliques, établissent en effet un lien avec des lieux et des communautés, que ces derniers soient réels, imaginés, passés, actuels ou à l’état de projet. Un des principaux supports de l’actualisation de ce lien et de la construction de ces identités collectives est la liturgie : elle permet en effet d’articuler temps liturgique et temps historique à travers la célébration cyclique des offices des saints, la commémoration des vies et des miracles étant l’occasion de souligner le lien de ces « hommes illustres », de ces « morts très spéciaux » à la terre et à la communauté dont il sont natifs, qu’il ont honoré de leur présence et sanctifié par leurs actions.

L’époque moderne représente un temps fort dans ce processus de construction. Alors qu’auparavant la sainteté était principalement locale et universelle, on observe l’essor, à partir de la fin du Moyen Age, d’une sainteté nationale. L’historiographie, en particulier italienne, a étudié en profondeur les réalisations liées à cet essor dans le domaine des recueils hagiographiques et de l’historia sacra. La réforme liturgique décidée durant la dernière session du Concile de Trente a joué un rôle décisif dans l’amplification de ce mouvement d’affirmation d’une sainteté nationale. En étendant l’usage des principaux livres liturgiques romains à l’ensemble de la catholicité, elle a entraîné l’abandon par les églises locales, selon une chronologie qui n’est pas toujours linéaire, de leurs spécificités liturgiques. Celles-ci se sont alors reportées pour une large part sur la célébration des saints dont les offices liturgiques ont très souvent été rassemblées dans des livrets reliés à la fin des livres liturgiques, les « offices propres des saints », qui devaient en théorie recevoir de Rome une approbation préalable.

Cette rencontre se propose, en s’inspirant de l’historiographie dynamique qui a exploré les différents domaines de l’écriture hagiographique, d’envisager pour la première fois, à l’échelle européenne et dans une perspective comparatiste, le processus d’écriture et/ou de réécriture de ces offices, l’évolution de leur composition, leur circulation ainsi que leurs usages dans la construction des identités nationales à l’époque moderne. Elle voudrait ainsi se confronter aux questionnements suivants :

  • Quels sont les apports d’une étude de la liturgie des saints à la compréhension de la constitution des identités nationales à une époque marquée par les appartenances multiples et avant l’entrée en scène de l’état-nation ?
  • Quels sont les modalités et les enjeux de cette opération de récupération, de préservation mais aussi d’« invention d’une tradition » qu’implique l’écriture de ces « propres nationaux » ?
  • Quels sont les liens entre cette affirmation d’une sainteté nationale et la permanence mais aussi parfois l’émergence d’une sainteté locale ?
  • Quels ont été les usages de ces livrets à différentes échelles dans des formations politiques que les historiens ont pris l’habitude de qualifier de « composites » ?
  • Dans quelle mesure la rédaction de ces « propres des saints » permet-elle de jeter un nouveau regard sur les interactions entre l’universalisme de l’Église romaine et les prétentions à l’universalisme d’autres acteurs politiques (Monarchie catholique, Saint-Empire, dynastie des Habsbourg) ?
  • Comment Rome s’est-elle servie de son autorité de contrôle de la sainteté et de la liturgie dans le cadre plus générale de sa politique ?

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